Boutique de commerce équitable
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Economiste agricole, ancien élève de l’Institut National Agronomique de Paris-Grignon, Materne Maetz a travaillé plus de 30 ans dans la coopération internationale (FAO : Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation, dont une quinzaine d’années sur le terrain en Afrique (Tunisie, Niger et Ghana) et en Asie (Népal et Inde).
Materne Maetz est bénévole depuis de nombreuses années à Artisans du Monde Aix en Provence.
Il a accepté d’évoquer avec nous un sujet qu’il avait abordé dès mars 2015 dans un article intitulé :
site https://lafex.org
" Treize idées reçues (et fausses) sur la faim …"
Selon lui, pour mieux comprendre la faim, il s’agit d’en finir avec un certain nombre d’idées reçues fausses qui ont la vie dure.
Son espoir : faire valoir des arguments pour enfin en venir à bout.
Nous avons sélectionné 5 de ces idées reçues et nous lui avons posé la question sur son regard actuel les concernant.
Faux.
Cette idée reçue reste d’actualité et est plus que jamais fausse.
Entre 2015 et 2023 (dernière année pour laquelle les chiffres sont disponibles), la production mondiale de produits alimentaires a augmenté de 14 %, selon la FAO.
La nourriture, si elle était équitablement répartie, suffirait largement à nourrir comme il faut, la totalité de la population mondiale.
Une part croissante de la population mange plus que ce dont elle a besoin, avec comme conséquence l’augmentation du nombre de personnes en surpoids et souffrant d’obésité.
Sur la même période, le nombre de personnes souffrant de sous-alimentation chronique a augmenté de 29 % selon la FAO.
On constate donc que, malgré l’accroissement des disponibilités alimentaires, la faim a progressé.
En réalité, la faim n’est pas due à un manque général de nourriture, mais aux difficultés que rencontrent certaines personnes à avoir accès aux produits alimentaires dont elles ont besoin.
Pour avoir accès à de la nourriture, on peut soit la produire soi-même, soit en acheter. Avec l’urbanisation de la population mondiale, c’est cette seconde façon de se procurer de la nourriture qui est devenue la plus importante.
Lors de la pandémie de la COVID-19, l’économie mondiale s’est ralentie et beaucoup de personnes ont vu leur revenu diminuer, rendant plus difficile l’achat de produits alimentaires. On a constaté immédiatement un accroissement du nombre de personnes ayant des problèmes pour se nourrir suffisamment.
À la fin de la pandémie, la reprise de l’économie mondiale - surtout en Chine -, a entraîné une augmentation des prix de l’énergie qui, à son tour, a causé une flambée des prix alimentaires dès le milieu de 2021. Ces prix sont restés élevés après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce qui a fait accroître le nombre de personnes rencontrant des difficultés pour acheter leur nourriture.
Faux.
Selon la Division de la population des Nations Unies, la population mondiale est passée de 3 milliards en 1960 à environ 8,2 milliards en 2024, soit une augmentation de plus de 170 % en 64 ans.
Selon la FAO, la production alimentaire mondiale, pour sa part, a été multipliée par 4 sur la même période !
On constate donc clairement que la production alimentaire a augmenté plus vite que la population.
Une démographie trop rapide n’est par conséquent pas la cause de la faim.
Celle-ci, on l’a vu ci-dessus, est due aux difficultés économiques que rencontre une part importante de la population mondiale pour disposer de suffisamment de ressources pour avoir accès à la nourriture dont elle a besoin.
Si l’on prend l’exemple de l’Inde, le pays où vit le plus grand nombre de personnes sous-alimentées (près de 200 millions au début de cette décennie), on observe que :
Cette situation s’explique par la persistance d’une large part de la population indienne qui vit dans la pauvreté, et par l’inefficacité des politiques économiques de l’État indien qui, pourtant, a mis en œuvre le plus grand programme d’aide alimentaire au monde.
Vrai et Faux
La guerre et les événements météorologiques extrêmes (sécheresse, inondations), peuvent avoir un effet dramatique pour les populations en les jetant dans une situation extrême de dénuement et de malnutrition, en causant l’échec des cultures, en désorganisant la production et les échanges, et en détruisant les sols (par l’érosion ou la pollution par des mines anti personnelles et d’autres munitions).
Ces événements et leurs conséquences sont très présents dans les médias.
Mais la faim que génèrent ces phénomènes d’une violence exceptionnelle ne constitue cependant que la pointe de l’iceberg de la faim.
En effet, des causes moins spectaculaires, mais très efficaces sont à l’œuvre qui expliquent la plus grande partie de la faim dans le monde.
Selon le Rapport mondial sur les crises alimentaires (2025), 96 millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire élevée dans 18 pays en 2024, du fait d’événements météorologiques extrêmes, et 40 millions de personnes dans 20 pays à cause de conflits et d’insécurité.
Ces chiffres inacceptables sont cependant relativement modestes quand on les compare avec ceux du Rapport sur l’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition mondiale (2024) qui décrit la faim dans son ensemble :
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Ces chiffres très élevés prennent en compte l’ensemble du phénomène de la faim qui résulte, en plus des conflits et des événements météorologiques, d’un certain nombre d’autres causes plus diffuses et moins spectaculaires :
Ces causes sont le résultat de la multitude de décisions de politiques économiques prises par les gouvernements.
Faux
L’aide alimentaire permet de sauver des vies humaines en situation d’urgence extrême et de venir au secours des personnes qui n’ont pas les moyens d’accéder à la nourriture dont ils ont besoin.
En ce sens, l’aide alimentaire est un palliatif, et non une solution.
La solution serait de lutter contre les causes à la base des situations d’urgence extrême (changement climatique, conflits, etc.) et de la pauvreté.
En outre, l’aide alimentaire est souvent peu efficace et coûte très cher. En Inde, par exemple, le plus grand programme d’aide alimentaire au monde est entaché de mauvaise gestion, de détournements et de corruption. Son poids financier dans le budget de l’État est considérable et limite d’autant les investissements qui pourraient, eux, contribuer à résoudre effectivement le problème de la faim.
Aux États-Unis, on estime que chaque dollar de nourriture distribué coûte plus de 2 dollars au budget de l’État.
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Par ailleurs, on observe que la disponibilité d’aide alimentaire provenant de l’étranger peut parfois décourager la production locale et que certains gouvernements, parce qu’ils comptent sur l’aide alimentaire extérieure, négligent d’investir dans les programmes de lutte contre la faim.
Malgré tout cela, ce palliatif reste indispensable, car il faut continuer d’assister les personnes qui n’ont pas les moyens de se procurer assez de nourriture, puisque l’accès à l’alimentation est un droit, et que l’on sait que ne pas manger suffisamment à des conséquences catastrophiques sur le développement des enfants et la capacité de travail des adultes, et sur le développement économique d’un pays.
Faux
Nous venons de le voir, la sous-alimentation est un frein pour le développement économique. Investir dans la lutte contre la faim devrait donc être un programme rentable.
Il existe une multitude d’études économiques montrant que la faim a un coût énorme : productivité du travail réduite, perte d’heures de travail et dépenses de santé accrues du fait d’une plus grande vulnérabilité aux maladies, retards irrattrapables dans le développement physique et intellectuel des enfants, décès dus à la sous-alimentation, autant de conséquences qui ont un poids économique considérable qui peut représenter plus de 15 % du Produit intérieur brut (PIB) des pays les plus concernés, selon une série d’études du Programme alimentaire mondial.
Au niveau mondial, la FAO a estimé que la faim coûtait 2 à 3 % du PIB, c’est-à-dire entre 2000 et 3000 milliards de dollars par an, soit à peu près l’équivalent du PIB de la France !
En face de cela, diverses estimations fixent aux alentours de 40 milliards de dollars par an, le montant qu’il s’agirait d’investir pour venir à bout de la faim. Ce n’est pas tant que cela, quand on voit les bénéfices que cela pourrait générer. En fait, ce serait un investissement très rentable.
Sauf que lutter contre la faim n’est pas simplement une question d’argent.
Il faudrait aussi changer la logique des politiques économiques et réduire les inégalités. C’est là une perspective qui ne réjouit guère les plus riches et les plus puissants du monde, car cela leur ferait perdre une part de leurs privilèges. Ils ne manqueront pas d’utiliser leur pouvoir pour résister à toute initiative allant dans ce sens.
Le Commerce équitable, parce qu’il assure un revenu stable et décent, contribue à lutter contre la faim, la pauvreté et les inégalités économiques.
Face aux enjeux de l’éradication de la faim et de la pauvreté, le Commerce équitable modifie fondamentalement la logique gouvernant le fonctionnement des filières.
Il ne s’agit pas, comme pour les multiples opérateurs impliqués dans les filières conventionnelles, de faire des profits, mais :
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Pour assurer un revenu décent, le Commerce équitable paye des prix garantis permettant aux paysans et artisans d’avoir un revenu leur donnant les ressources nécessaires pour satisfaire leurs besoins fondamentaux (alimentation, logement, éducation, santé, etc.) et de disposer d’une épargne pour investir dans l’amélioration de leurs conditions de production et de vie.
La stabilité du revenu est assurée grâce à un engagement pluriannuel scellé entre les coopératives et les centrales d’achat du Commerce équitable qui garantit la commercialisation de leur produit.
Le Commerce équitable est également un puissant outil de développement, car les partenaires sont encouragés à adopter des techniques de production respectueuses de l’environnement, à respecter les normes sociales de l’OIT et à mettre en œuvre des pratiques démocratiques exemptes de toute forme de discrimination.
En outre, en versant une prime aux associations et coopératives, les centrales d’achat du Commerce équitable permettent à leurs partenaires d’investir dans des projets collectifs (infrastructures, services sociaux, formation et éducation, etc.).
Interview réalisé en juin 2025